Le fardeau génétique
Un article
de Caroline Dangléant, dans "Le journal du CNRS" n°224 septembre 2008 :
Quand deux mutations valent mieux qu'une !
Quand deux mutations valent mieux qu'une !
Mauvaise nouvelle pour les humains… D'habitude, quand des moustiques deviennent résistants à un insecticide, ils sont plus vulnérables. Des
chercheurs montrent que ce n'est plus tout à fait vrai pour ceux qui résistent aux deux insecticides les plus répandus.
On n'a rien sans rien ! Parole de moustique. En effet, sur le chemin de l'évolution, certains d'entre eux développent une résistance à tel ou tel insecticide. Mais ce phénomène s'accompagne de ce que les scientifiques appellent un « fardeau génétique ». En clair, la mutation génétique rend l'animal insensible au produit, mais s'accompagne d'une moins bonne espérance de vie dans un milieu sans insecticide. Une aubaine pour adapter nos stratégies de lutte contre ce diptère vecteur de très nombreuses maladies : en alternant dans le temps ou dans l'espace l'utilisation des différentes classes d'insecticides, il est possible de limiter le nombre d'insectes résistants. Seulement voilà, des chercheurs de Montpellier1 viennent de montrer que ce précepte ne se vérifie pas toujours. Ils ont en effet découvert que les moustiques qui ont muté pour résister simultanément aux deux classes d'insecticides les plus répandues, les organophosphorés (OP) et les pyréthrinoïdes, sont eux beaucoup moins handicapés que leurs confrères « simples mutants ».
Pour obtenir ce résultat, nos chercheurs ont tout d'abord créé par croisement quatre souches de moustiques génétiquement identiques sauf au niveau des gènes de résistance : la première souche regroupait les individus non mutés, la deuxième ceux insensibles aux insecticides de type OP, la troisième ceux résistants aux pyréthrinoïdes et la quatrième souche représentait les « doubles mutants ». Les scientifiques ont alors comparé le taux de survie des larves de chaque souche face à leurs prédateurs. Et là, surprise ! Même s'ils restent légèrement désavantagés par rapport aux moustiques non mutés, les progénitures des « doubles mutants » survivent mieux que celles des « simples mutants ». Pour expliquer ce résultat, un détour par les mécanismes sous-jacents aux mutations s'impose.
Les insecticides organophosphorés sont des substances neurotoxiques : leurs molécules se fixent à la place d'un neurotransmetteur, l'acétylcholine (ACh), sur le site actif de l'enzyme chargée de dégrader l'ACh. Résultat : le neurotransmetteur s'accumule, les messages nerveux deviennent continus et le moustique meurt, en quelque sorte, d'hyperactivité. La forme mutée du gène, appelée ace-1R et découverte en 2003 par l'équipe de Mylène Weill, produit une enzyme sur laquelle les OP ne peuvent se lier : l'insecticide devient donc inactif. « En identifiant ce gène de résistance nous avons pu prouver que le fardeau génétique des moustiques mutés découle de l'insensibilité aux OP », explique la chercheuse. En effet, le nouveau handicap semble provenir du fait que l'enzyme ainsi mutée dégrade moins bien l'acétylcholine, provoquant un petit excès de cette dernière, et perturbe les messages nerveux. Un vrai fardeau !
Quant aux pyréthrinoïdes, leur action s'exerce dans les fibres nerveuses et se traduit par une inhibition de la libération d'ACh dans la synapse et une mort par paralysie. Ici aussi, sans entrer dans les détails, la mutation qui permet de résister aux pyréthrinoïdes joue sur la quantité d'ACh. Mais en l'occurrence, elle se traduit cette fois par un léger déficit.
Un excès d'ACh dans un cas, un déficit dans l'autre… L'énigme est presque résolue : chez les moustiques qui ont la double mutation, les deux processus s'équilibrent à peu près, diminuant ainsi le fardeau qu'ils entraînent habituellement. De fait, cette double résistance pourrait être amenée à se maintenir plus facilement dans les populations naturelles. Une funeste nouvelle pour le continent africain, principal utilisateur de ces deux classes d'insecticides.
Outre l'apport d'informations précieuses pour l'étude des processus évolutifs, identifier les mécanismes génétiques de résistance permet de guider le choix des insecticides à utiliser. Mais le problème n'est pas résolu pour autant : la gamme d'insecticides disponibles ne cesse de se restreindre avec l'apparition de nouvelles résistances. Et même si la recherche avance dans ce secteur, les industries agrochimiques ne s'intéressent pas à la commercialisation d'insecticide spécifique aux moustiques, faute de retombées financières suffisantes. En France, le principal insecticide employé aujourd'hui est un mélange de quatre toxines bactériennes, le BTI. Mylène Weill s'inquiète : « Il faudra un peu plus de temps aux moustiques pour devenir résistants aux quatre toxines du BTI, mais cela arrivera et cela peut très bien être dans la prochaine décennie ! »
Notes : 1. Institut des sciences de l'évolution de Montpellier (Isem, CNRS / Université Montpellier-II), Laboratoire de lutte contre les insectes nuisibles (IRD) et Laboratoire « Génétique et évolution des maladies infectieuses » (CNRS / IRD).
Contact:
Mylène Weill
Institut des sciences de l'évolution de Montpellier (Isem)
mylene.weill@univ-montp2.fr
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