La dégradation des plastiques en mer
par Claire Dussud1,2 et Jean-François Ghiglione1,2
1 : CNRS, UMR 7621, Laboratoire d’Océanographie Microbienne, Observatoire Océanologique, F-66650 Banyuls/mer, France
2 : Sorbonne Universités, UPMC Univ Paris 06, UMR 7621, Laboratoire d’Océanographie Microbienne, Observatoire Océanologique, F-66650 Banyuls/mer, France
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Mots clés : écotoxicologie microbienne, écosystèmes marins, déchets, réseaux trophiques, bioaccumulation, bioremédiation, relation Homme-Nature
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Le devenir des déchets en mer est une préoccupation environnementale de premier ordre qui fait aujourd’hui partie de la définition du « bon état écologique » des écosystèmes marins, selon la Directive Cadre Sur le Milieu Marin (DCSMM, descripteur n°10). En milieu marin, ces déchets sont composés de 40 à 80% de plastiques (Barnes et al., 2009). Des travaux récents estiment à 5 250 milliards le nombre de particules plastiques qui flottent à la surface des mers et océans, équivalent à 268 940 tonnes de déchets (Eriksen et al., 2014).
Une pollution mondiale
La pollution par les déchets plastiques touche tous les océans, y compris les zones polaires. Il existe néanmoins des zones d’accumulation créées par des courants marins appelés gyres océaniques (Lebreton et al., 2012). La plus connue est la zone d’accumulation dans le gyre du Pacifique Nord (« 7ème continent de plastique » ou « grande zone d’ordure du Pacifique»), mais cet exemple n’est pas un cas isolé. Les modèles de circulations océaniques suggèrent des zones d’accumulations dans quatre autres gyres (Pacifique Sud, Atlantique Nord, Atlantique Sud et Océan Indien). La Méditerranée est également très polluée par les plastiques du fait de son caractère de mer semi-fermée, avec un taux de renouvellement des eaux de 90 ans alors que la persistance des plastiques est supérieure à 100 ans (Lebreton et al., 2012).
La présence de ces matériaux synthétiques dans le milieu naturel est relativement récente, puisque l’essor de l’industrie du plastique date des années 1970. Les débris plastiques retrouvés à la surface de l’eau sont dominés par les particules de taille inférieure à 5mm, communément appelées des microplastiques (Hidalgo-Ruz et al., 2012). Les microplastiques sont issus de la fragmentation des plastiques et sont également dispersés dans tous les océans (Ivar do Sul et al., 2014). Ces fragments sont très stables et peuvent parfois persister jusqu’à 1000 ans dans le milieu marin (Cózar et al., 2014).
Toxicité des plastiques et perturbation des chaînes alimentaires
Dans l’environnement, la pollution par les plastiques peut avoir plusieurs conséquences. Mise à part la pollution visuelle qu’ils engendrent, les plastiques touchent les organismes marins de manière directe ou indirecte à différents échelons de la chaîne alimentaire (Wright et al., 2013). Au plan chimique, les matières plastiques sont constituées d’enchaînements de séquences identiques (ou polymères) de molécules carbonées, principalement d’hydrocarbures*, molécules organiques toxiques pour de nombreux organismes, susceptibles de s’accumuler le long des chaînes alimentaires.
Dans les zones d’accumulation, la concentration de microplastiques observée (de taille de 0,5 à 5mm) est comparable à celle du zooplancton (entre 0.005 mm et plus de 50 mm). La Méditerranée, par exemple, présente des ratios microplastiques/zooplancton entre 1/10 à 1/2 (Collignon et al., 2012). Le risque pour les prédateurs du zooplancton (i.e. les poissons) d’ingérer du microplastique est donc considérable. Le temps de résidence du plastique dans de petits poissons pélagiques est évalué entre 1 jour et 1 an (Davidson & Asch, 2011). Les fragments de microplastiques ingérés sont retrouvés dans les déjections des animaux, ils peuvent couler avec les cadavres ou encore être transférés aux prédateurs et ainsi atteindre les échelons supérieurs de la chaîne alimentaire (Cózar et al., 2014).
Les plastiques sont également des vecteurs de dispersion de composés toxiques qui peuvent aussi s’accumuler dans les chaînes alimentaires. Ces composés peuvent être directement présent dans la composition des plastiques, ou bien s’adsorber à leur surface. Dans le premier cas, il s’agit d’additifs (phtalates, biphényles) incorporés à certains plastiques pour augmenter leur résistance. Différents travaux ont montré que ces composés peuvent être toxiques pour certains animaux et l’homme (Lithner et al. 2011). D’autres composés toxiques (hydrocarbures, pesticides, DDT, PCB) peuvent s’adsorber sur les plastiques, ce qui est susceptible d’augmenter leur dispersion, leur persistance en mer et leur accumulation dans les échelons trophiques les plus élevés (Teuten et al., 2009).
Les effets désastreux de l’ingestion des débris de plastiques confondus avec des proies sont également bien documentés, avec des conséquences sur les systèmes digestifs des animaux tels que les poissons, les oiseaux, les tortues de mer et les mammifères marins, pouvant entraîner leur mort (Andrady 2011). Ces débris sont également considérés comme vecteurs de dispersion d’algues toxiques (Masó et al. 2007) et de microorganismes pathogènes (Zettler et al., 2011).
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