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Bioécologie

Alain Prochiantz : « Il faut investir massivement et rapidement dans la recherche et l’innovation »

28 Juin 2014 , Rédigé par Bioécologie Publié dans #Actualités-News, #Thèses - Post-doc - Emploi - Bourse

La recherche fondamentale précède l'innovation et la nourrit de découvertes souvent imprévisibles.

Il n'y a pas d'innovation sans recherche fondamentale.

Une politique à court terme qui affaiblit aujourd'hui cette recherche affaiblit l'innovation de demain et rend improbable le retour de la compétitivité dans les secteurs de haute technologie.

Alain Prochiantz

Alain Prochiantz : « Il faut investir massivement et rapidement dans la recherche et l’innovation »

Un article d’Alain Prochiantz, chercheur en neurobiologie et professeur au Collège de France, paru dans le journal Le Monde le 26 juin 2014 (photo : Alain Prochiantz - source : collège de France).

"Du côté de la science, ça ne va pas. En dix ans, la part du produit intérieur brut (PIB) investi en recherche et développement (R & D) est passée de 2,2 % à 3 % en Allemagne et a stagné à 2,3 % chez nous. Cela correspond à un différentiel, chaque année, d'environ 16 milliards d'euros. Ne pas comprendre que cela a des effets sur notre compétitivité économique et se focaliser sur les seuls coûts salariaux comme explication de notre décrochage, c'est afficher l'ambition d'exporter des tee-shirts et d'importer des machines-outils. On rêverait d'un autre futur.

Sous le prétexte des classements internationaux, notre politique scientifique et universitaire s'est engagée dans la construction de mastodontes, équivalents des caparaçons d'Azincourt [en 1415, la cavalerie française subit une lourde défaite face aux Anglais en partie due au fait que ses chevaux, trop lourdement protégés, s’enfonçaient dans le terrain boueux]. De par le monde, les étudiants utilisent Internet pour identifier les universités et laboratoires qu'ils désirent rejoindre. Au-delà de l'excellence de ces structures, ils recherchent des perspectives de carrière décentes, de bonnes conditions de travail et un accueil de qualité. Tout le reste, classement de Shanghaï, Fête de la science et tutti quanti sont des leurres. Peu s'y laissent prendre, comme le démontre la baisse des vocations scientifiques. Tant qu'à faire de longues études et travailler sans compter ses heures, si c'est pour jouer en Ligue 2 de la science et gagner, à 33 ans, 2 000 euros par mois de salaire net, autant aller voir ailleurs – vers d'autres pays ou d'autres métiers.

FAIBLE EFFORT FINANCIER

Le coût de la recherche publique, toujours mis en avant pour repousser la nécessaire augmentation de son financement, est faible. Le budget de 3,5 milliards d'euros, salaires compris et toutes disciplines confondues, du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) est identique au coût pour la nation de la baisse à 5,5 % de la TVA des restaurateurs, sous la présidence Sarkozy. Laquelle n'a été remontée qu'à 10 %, évaporation sans retour de plus de 2 milliards d'euros.

Autre comparaison : la niche fiscale du crédit impôt recherche (CIR) accordé aux entreprises et dont, comme le souligne la Cour des comptes, on ignore les effets réels sur notre compétitivité économique, dépasse les 5 milliards d'euros. En attendant d'avoir un bilan de l'impact économique du CIR, il serait justifié de le réserver aux entreprises qui créent de l'emploi scientifique en interne et ne pratiquent pas l'optimisation fiscale. Le message est qu'un gouvernement qui en aurait la volonté trouverait sans difficulté les 2 ou 3 milliards nécessaires au renforcement de la recherche publique.

Un tel effort financier, à peine supérieur à 0,1 % du PIB, est parfaitement justifié pour une recherche publique qui a maintenu la France dans le peloton de tête des grands pays industrialisés. Nos succès en mathématiques sont connus et attestés par le nombre des Médailles Field (le Nobel des mathématiciens). Les succès ne sont pas moins importants pour les sciences humaines, même si la quantification est plus difficile pour ces disciplines, et les sciences expérimentales. Rappelons que, depuis 2005, sept chercheurs travaillant dans des laboratoires français, biologistes, physiciens ou chimistes, se sont vu attribuer un prix Nobel.

AFFAIBLISSEMENT DE L'INNOVATION

Alors pourquoi les gouvernements, indépendamment de leur couleur politique, mènent-ils des politiques qui affaiblissent les structures de la recherche publique, tout particulièrement les Etablissements publics scientifiques et techniques (EPST) comme le CNRS ou l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), à qui l'on doit une grande partie de ces succès ? Il ne s’agit pas d’une simple impression. Cette action délétère se mesure par les conditions faites aux jeunes chercheurs, par les salaires de ceux qui sont déjà engagés dans les carrières de recherche et d'enseignement, et par la diminution des crédits compétitifs qui, passant par l'Agence nationale de la recherche (ANR), vont directement aux équipes les plus performantes. Pour l'ANR, ajoutons que le saucissonnage des appels d'offres en domaines d'intérêt sociétal et les règles administratives absurdes imposées pour la recevabilité des projets l'ont considérablement affaiblie.

La réponse la plus courante, depuis des années, est la nécessité de rapprocher la recherche de l'industrie et du sociétal dans le but – louable évidemment – de booster la compétitivité économique et d'améliorer les conditions de vie des citoyens. Il faut donc inlassablement rappeler que la recherche fondamentale a des ressorts différents de ceux de l'innovation, qu'elle précède cette innovation et la nourrit de découvertes souvent imprévisibles. Il n'y a pas d'innovation sans recherche fondamentale, et une politique à court terme qui affaiblit aujourd'hui cette recherche affaiblit l'innovation de demain et rend improbable le retour de la compétitivité dans les secteurs de haute technologie.

Rapprocher la recherche de l'innovation, c'est réduire le temps nécessaire au passage de l'une à l'autre, tout en stimulant l'une et l'autre. Encore une fois, un CIR attribué à des entreprises qui l'utilisent pour détourner la recherche publique de ses missions de création de connaissances nouvelles, tout en réduisant ou en délocalisant leur propre secteur R & D, va à l'encontre du but recherché. A l'inverse, on peut soutenir un CIR qui rapproche la recherche de l'innovation sur une base solide, parce qu'il va aux seules entreprises qui créent des emplois et offrent des débouchés aux docteurs formés par la recherche publique.

Pourquoi nos dirigeants ne peuvent-ils entendre ce langage ? Une raison possible est leur manque de culture scientifique, et là on ne peut oublier que la chancelière allemande a fait ses premiers pas comme physicienne. Il s'ensuit qu'ils sont naïvement persuadés qu'une bonne recherche est une recherche « pour le peuple », sociétale donc, confondant ainsi recherche et innovation. Il est dans la mission d'un gouvernement républicain d'écouter les différents lobbys, mais c'est aussi son devoir de ne pas céder à leurs exigences quand les intérêts à long terme du pays sont en jeu."

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