Les Continents de l’ignorance
18 Avril 2014 , Rédigé par Bioécologie Publié dans #Livres - revues - thèses - rapports..., #Actualités-News
Source : CNRS, Le Journal.fr, 17.04.2014, par Louise Lis.
"Après avoir fait sensation outre-Atlantique, l’ouvrage du neurobiologiste américain Stuart Firestein, « Les Continents de l’ignorance », sort aujourd’hui en France. Rencontre avec un chercheur inspiré, qui voit dans l’ignorance un des moteurs de la science.
Votre livre vante les mérites de l’ignorance, qui selon vous ne doit pas être considérée comme un « manque de connaissance », mais comme un postulat avisé et perspicace. Comment définissez-vous donc l’ignorance ?
Stuart Firestein : Je m’intéresse particulièrement à l’ignorance qui se cache derrière les faits. Pas seulement à ce que j’ignore, à savoir bien des choses, mais à ce que tout le monde ignore, c’est-à-dire bien davantage encore. C’est ce type d’ignorance qui évolue en parallèle avec la connaissance parce que chaque chose apprise ou découverte suscite de nouvelles ET de meilleures questions.
Votre livre propose-t-il une nouvelle façon de « faire de la science » ?
S. F. : Cette façon n’est en rien nouvelle : c’est la manière dont la science a toujours procédé et avancé. Je n’invente pas une nouvelle méthode. Depuis Newton, Maxwell ou Darwin, les sciences ont toujours progressé en suscitant de meilleures questions. Mais aujourd’hui, nous l’avons oublié. La tendance est à montrer ce que l’on sait et non ce que l’on ignore. Pourtant, une telle attitude enlève à la science son attrait et sa vitalité. Le problème, c’est que les scientifiques le savent, mais que le public n’en est pas conscient. L’ignorance est devenue la chasse gardée d’une élite scientifique.
Qu’est-ce qui fait le plus défaut aux chercheurs d’aujourd’hui : le temps ou l’argent ?
S. F. : Difficile à dire. En Amérique, on dit que « le temps, c’est de l’argent ». On manque des deux, mais cela a toujours été le cas et ce ne sont pas les éléments essentiels. Je dirais que les chercheurs doivent posséder deux qualités indispensables pour réussir : le courage et la patience. Le courage, parce qu’il leur en faut pour prendre des risques. Quitte à mettre leur carrière en péril, à renoncer à des promotions, ils doivent remettre en question les grands courants de pensée et ne pas se comporter comme des « chercheurs moyens ». Je citerai aussi la patience, parce que la science est un long processus semé d’échecs. L’échec fait partie de l’expérience et la patience permet d’en supporter les frustrations. La recherche est un métier à risques. Je m’amuse de constater qu’il existe aux États-Unis des bourses high risk, high impact. Mais n’est-ce pas la norme dans toute recherche ? Pourrait-on envisager des recherches à « faible risque, faible impact » ? Ces signes sont le symptôme d’un malaise, voire d’une maladie.
L’enseignement et la difficulté à transmettre les connaissances aux étudiants semblent avoir guidé votre réflexion. Le livre même s’ouvre sur votre difficulté à construire votre cours intitulé « Neuroscience cellulaire et moléculaire » sans donner l’impression que les scientifiques savent à peu près tout ce qu’il y a à savoir en matière de neurosciences…
S. F. : Bien que le livre s’ouvre en effet sur une question d’enseignement – comment parler de ce que nous ne savons pas, de ce qu’il nous faut encore trouver, des mystères qui demeurent de tout ce qui reste à faire ? –, je n’avais pas fait le lien avec la pédagogie des sciences de prime abord. C’est venu plus tard. Je m’en suis rendu compte à travers les questions que le livre a suscitées. Lors d’émissions de radio, en particulier celles où les auditeurs peuvent poser des questions, nombre d’interrogations émanaient de professeurs et d’enseignants en sciences en particulier. J’ai découvert que les sciences méritaient sans aucun doute une approche différente, tout particulièrement dans le cas de lycéens et de jeunes qui ne poursuivront pas d’études scientifiques."
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